Le Portail de la Liberté : vivre la peinture. « … Les premiers tableaux de Natalia Grigorieva peints à la fin des années 1990 (« Le rêve », « La silhouette ») étaient de nature symboliste. C’étaient des oeuvres peintes avec une maîtrise évidente, mais elles ne paraissaient pas tout à fait indépendantes à cause d’explications des allusions historiques et culturelles qui étaient assez naturelles et même organiques pour le milieu culturel dans lequel la jeune artiste était formée. C’est dans les oeuvres peintes d’après nature que N. Grigorieva marque son intonation unique et singulière. À mon avis, ce sont les dessins d’après nature qui ont contribué à la formation de sa vision indépendante. Les dessins de N. Grigorieva datant de la seconde moitié des années 1990 semblent assez naïfs : des paysages, souvent dessinés lors de ses voyages («Egypte», «Ravenne», «Milan») et des natures mortes. Malgré toute leur simplicité, ces dessins (le plus souvent réalisés au pastel à l’huile) me paraissent très importants: ils possèdent une structure, une composition et une tactilité particulière. La manière tactile et expérimentale du dessin qui a quelque chose en commun avec les dessins de la dernière période de D. Mitrokhine, a peu à peu formé la vision originale de l’artiste. Cette vision trouve maintenant sa manifestation la plus complète dans les paysages et natures mortes actuelles de Natalia Grigorieva. Si on parle de la peinture des formes et de l’organisation plastique des tableuax, sa créativité se développe entre les deux extrémités. Cetaines oeuvres (telles que « Le jardin en hiver » ou « La fenêtre de la datcha ») expriment clairement l’approche grapique, tandis que d’autres («Les bouquets», «L’automne approche») évoluent plutôt vers l’expression picturale. J’aime surtout ses tableaux franchement picturales avec leur reflexion de l’état de la nature, de son atmosphère, de sa « température » et de son bien-être (« Le ciel de printemps », « Le gel »). Leur disposition me semble délicate, sinon humble. Cette ambiance apparaît pleinement dans « Octobre » ou « Le soir», avec leur élaboration soignée des avant-plans nous montrant des céréales, des fleurs, des herbes, et la transition vers l’ambiance naturelle des arrières plans peints avec virtuosité. On se sent émotionnellement « inclu » grâce à la qualité de la vision du paysage que l’éminent critique d’art russe Abram Efros avait autrefois appelé le «régulateur de paysage»: l’environnement d’air, de lumière et de humidité «atmosphérique» embrasse le monde visible, lui conférant la spiritualité et l’intégrité.
Certaines natures mortes («Les fleurs», «Les pois de senteur», «Mars») s’apparentent à cette tendance en paysage qu’on peut nommer « lyrique » grâce à la finesse et subtilité de nuances intrinsèques à cette perception de la nature...
Nicolas de Stael avoua un jour qu’il était « forcé de réfléchir avec la peinture ». N. Grigorieva, il me semble, apprend à «éprouver des émotions avec la peinture», c’est-à-dire vivre des impressions visuelles et historico-culturelles en les dissimulant dans sa perception de nature (« ...comme le paysage se cache dans du brouillard... »), au lieu de les illustrer directement. La « texture » pittoresque de ses œuvres semble garder la trace physique de ces expériences: respiration intermittente, sautes d’humeur, battement de coeur, enthousiasme, inquiétudes subconscientes et la capacité de les surmonter », - Alexandre Borovsky, candidat en critique d’art, chef du département des tendances modernes du Musée d’Etat Russe
L’élément pictural. «Natalia Grigorieva fait des efforts conscients pour influencer la perception du spectateur, en incluant dans ses oeuvres des composantes permettant d’activer l’expérience émotionnelle et tactile de la communication avec la nature. Une telle attitude nécessite du courage. Aujourd’hui, oeuvrer dans l’espace des perceptions et des sensations signifie naviguer à contre-courant, contre les attentes du grand public formés non seulement par les aspirations des artistes, mais aussi par des représentants professionnels d’art tels que critiques et conservateurs. Pour faire face à un tel parcours, il faut de la force, de la confiance en soi et du non-conformisme paradoxal. Je suis sûr que N. Grigorieva a adopté cette attitude de pleine conscience. Elle est une artiste parfaitement moderne, non seulement en ce qui concerne son éducation; après avoir fait ses études en Académie de la Presse (Institut Polygraphique de Moscou) ou on apprécie hautement l’élément pictural à commencer par l’époque de A. Gontcharov, Grigorieva a continué à étudier à Paris (Instutut Parisien de Langue et de Civilisation Françaises) et à Milan (Nuova Accademia di Belle Arti). Ses ouvrages polygraphiques (allant des manuels et toutes sortes de livres et albums en botanique aux éditions d’art et d’architecture à tirages limités) témoignent de l’ingénuosité de ses conceptions et du professionalisme de leurs mise en oeuvre. Donc, aucun naïvisme ou ignorance de réalités de la pensée visuelle moderne. L’attitude stylistique de l’artiste est donc son choix conscient et principiel... » - Alexandre Borovsky, candidat en critique d’art, chef du département des tendances modernes du Musée d’Etat Russe
Surfaces sonores. “…Dans les natures mortes de N. Grigorieva on voit toujours la tâche que l’artiste essaie d’accomplir. Elle dépeint le tempo propre à chaque nature morte, en s’y unissant de liens profonds de parenté. Dans les années 1930, il existait un terme en critique d’art russe, pour définir la texture peinte : « la surface sonore ». La peinture de l’artiste a cette qualité de « sonorité », avec ses marées hautes et basses. Il faut dire que N. Grigorieva ne se sert pas tant de textures que des masses picturales. Dans « L’arrivée de l’automne » et « Les pois de senteur », des détails se fusent en une masse insaisissable comme un mirage. Le tableau «Les mandarines éparpillées» avec son sujet plus précis, au contraire, pose le sujet de la temporalité en se basant sur l’optique de ces objets tangibles qu’on peut compter, tous ces jouets et fruits de sapin de Noël: l’artiste ne «poursuit» plus l’état actuel des objets en se dépêchant de «saisir» l’essentiel, mais cherche, au contraire, à retarder et prolonger le moment.
En général, ce moment de « familiarisation » au contact presque tactile avec la nature est plus prononcé dans les natures mortes de N. Grigorieva que dans ses tableaux peints en autres genres. Pierre Dax, en citant Ingres, qui croyait que le meilleur moyen de connaître une femme était de la peindre, devinait en peinture la «volonté de conquérir». Natalia Grigorieva s’efforce-t-elle de « conquérir » la nature? Non, je pense qu’elle a des motifs plus subtils. Dans ses meilleurs tableaux, l’artiste se situe à la limite de la généralisation et de l’objectivité, en essayant d’incarner l’état complexe entre le physique et l’éphémère. La composante objective et botanique des natures mortes n’est pas dépeinte avec une précision accablante: l’anatomie d’une fleur devient floue, comme fondue dans un flot d’émotions. Cependant, ces œuvres ne peuvent pas être qualifiées de généralisées ou symbolique: leur plastique est trop volumineuse, juteuse, « terrestre ». Ainsi se lient le plan mimétique, qui représente des qualités tactiles et formelles des objets, et le plan métaphorique. Qu’est-ce qui sous-tend ce style?
Je pense que N. Grigorieva a trouvé une perspective très intéressante, rare et informative. Je l’appellerais « vision de datcha ». Bien entendu, il ne s’agit pas de prendre ce mot au sens ordinaire. Ce ne sont pas non plus des connotations historiques et sociales - les « Estivants » de Gorki n’ont rien à voir avec cela. Je veux parler du type de vision culturelle qui a, à sa source, les dernières poèmes écrits par B. Pasternak à Peredelkino et par A. Akhmatova, à Komarovo.
C’est le type de vision dans lequel le contexte de la nature est intimement lié au contexte de l’être. Cette façon d’être est précisée et dramatisée par une certaine époque et un certain milieu culturel… » - Alexandre Borovsky, candidat en critique d’art, chef du département des tendances modernes du Musée d’Etat Russe